L'Olive de Provence rêve de Luxe

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Les Echos - July 2011

 Incapable de rivaliser avec les productions industrielles espagnoles, l'olive provençale tire ses productions vers le haut de gamme.

Qui peut imaginer la Provence sans oliviers ? Enraciné dans ses collines depuis les conquêtes phéniciennes, « l'arbre de vie » participe autant à la structuration de ses paysages calcaires qu'à son économie. «  L'olive a tant de vertus qu'elle a été le carburant des premières civilisations débarquées à Marseille  », explique le directeur de l'association française interprofessionnelle de l'olive (Afidol), Christian Argeson.

Importée du bassin de l'Euphrate 600 ans avant notre ère, elle fournit alors aux colons la matière grasse qui manque à cette terre sans gibier et son feuillage aux premiers troupeaux. L'espèce aime ses sols secs et caillouteux, se contente de peu d'entretien et protège les terres calcaires de l'érosion. De quoi en faire la culture star du Sud. Au faîte de sa gloire pendant la Renaissance, elle va ainsi couvrir 120.000 hectares, deux fois plus qu'aujourd'hui.

C'est alors un produit industriel qui fait la fortune des cultivateurs et des mouliniers qui s'enrichissent des « grignons » d'olives. « L'enfer du moulin, le fond où tombaient ces déchets, était le paradis de mes aïeux », raconte Christian Argeson. Au fil des générations, leur pouvoir grandit à mesure que s'étendent les usages du fruit. Jusqu'à récemment, les moulins fournissaient ainsi des produits inattendus comme ces farines de noyaux destinées au polissage d'optiques spatiaux et à la fabrication de papier de verre, ou ces granules au fort pouvoir calorifique capables de remplacer le fuel dans les appareils de chauffage domestique. Jusqu'au terrible hiver 1956 qui a détruit le tiers du verger provençal.

Depuis, la quasi-totalité des applications de l'olive a disparu et les 5,5 millions d'arbres encore exploités dans la région ne produisent plus que de l'huile alimentaire, et en petite quantité : trop cher (sa cueillette, manuelle, rogne la moitié du prix de revient) et pas assez productif (1.500 litres en moyenne par hectare contre près du double dans les parcelles industrielles), le verger français occupe désormais le dernier rang européen avec seulement 6.000 tonnes (plus 2.000 pour l'olive de bouche), cent fois moins que les productions italiennes et espagnoles.

« Nous produisons peu d'huile, mais pas n'importe laquelle », défend Jean-Benoît Hugues, propriétaire du Moulin de Castelas, l'un des 240 encore en activité en Provence. Ancien ingénieur de la micro-électronique reconverti comme oliveron, il a fait de ses 45 hectares acquis dans les Alpilles la source d'un produit raffiné et fort en bouche qu'il produit presque au compte-gouttes : une centaine de tonnes par an. « La force de la Provence sur le marché mondial est son savoir-faire dans la création de saveurs complexes d'huiles rares  », explique-t-il.

C'est peu dire : réparti sur huit bassins de production, le terroir de l'olive provençale est valorisé par quatorze appellations d'origine contrôlée et une image de qualité qui tire vers les gammes premium « l'huile d'olive du Midi de la France », devenue il y a quatre ans une marque destinée à lutter contre les étiquettes étrangères usurpant la provenance. Le résultat se mesure à la caisse : 17 euros le litre en moyenne pour une huile d'ingrédient provençale destinée à parfumer et parfaire les finitions en cuisine, contre 4,5 euros pour les huiles dites de matière grasse, produites industriellement pour la consommation quotidienne des ménages.
Des huiles dans un écrin

« Une huile de qualité doit équilibrer trois composantes : le fruit au goût d'herbe fraîche, d'amande et d'artichaut mêlé, le piquant et l'amer », explique Jean-Benoît Hugues. Pour construire son jus, l'oliveron de Castelas travaille sur plusieurs variétés d'arbre, du jeune et fougueux Aglandau riche en phénols au multiséculaire Saloninque au goût plus rond. Il a également conçu des machines de pressage spéciales pour combattre les ennemis de l'huile : l'eau (qui disperse les précieux phénols hydrosolubles pendant la phase d'extraction), l'air (qui oxyde les composés), et la température (qui dénature le goût). « Nous travaillons à l'ancienne avec de nouvelles technologies », décrit Jean-Benoît Hugues.

Les flacons produits dans les moulins de ce genre ont un écrin commercial : Oliviers & Co, une enseigne créée par le Marseillais Olivier Baussan qui a inventé les magasins L'Occitane en Provence. Le créneau est étroit, mais porteur : installé dans les centres-villes, le réseau créé il y a quatorze ans compte aujourd'hui plus de 80 boutiques dans le monde, dont une cinquantaine en France, réalisant 26 millions d'euros de chiffre d'affaires. On y trouve notamment une sélection de millésimes et de crus des grands terroirs oléicoles de la Méditerranée, une trentaine au total, comme cette « extraverte » vendue 140 euros le litre ! « Ce positionnement de luxe est le ferment des futures générations d'oléiculteurs », est persuadé l'Afidol. A la clé, l'avenir de 25.000 récoltants encore en activité.
Paul Molga